Elle a fait une promesse.
À quelqu'un qui lui a fait une promesse.
Elle a promit de le protéger.

Puis elle a oublié.

~

- C'était un méchant gobelin, il est arrivé, il est rentré, il a prit tous les bonbons et il est reparti, comme ça, et il a même pas mis ses chaussons avant d'entrer !

Du sucre sur les joues et même sur le front, la bouille bleue n'a aucune chance de s'en sortir à si bon compte. Les poings sur les hanches, la matriarche attend patiemment la fin de tous ces mensonges avant de rendre son jugement. Deux heures plus tard, la menteuse creuse encore la terre avec sa petite bêche. À ses côtés, un homme qui fait bien trois fois sa taille, le visage fermé, sérieux dans son travail, montrant l'exemple. À quelques lieues des terres sombres, pied de nez ou ironie pleine de piquant, ils cultivaient des piments.

Un quotidien répétitif, laborieux, gratifiant aussi. Blue était une enfant comme tant d'autres, juste un peu en retard. On lui raconta qu'elle était tombée quand elle était encore plus petite et qu'elle s'était fait très mal à la tête. Les autres enfants n'hésitaient pas à lui dire qu'elle était bête et le fait était que la gamine n'avait aucun souvenir datant d'avant ses sept ans. Un âge assez tardif pour commencer à apprendre à parler qui la laissait toujours deux ou trois wagons à la traîne.

Puis il y eut un polichinelle dans le tiroir. Polichinelle énigmatique et très attendu que Blue ne parviendrait jamais à trouver, quelque soit sa détermination à retourner la maison et tous ses tiroirs. Un jour mama’ quitta la maison, ronde comme ce ballon blanc qui flotte là-haut dans le ciel noir. Il y avait du vent ce jour là.

Elle dut s’envoler car elle ne revint pas.

Ni elle, ni aucun polichinelle.

Papa était revenu mais il dut oublié un bout de lui-même quelque part en chemin. La bleue ne comprenait pas tout ce qu’il se passait et son père avait perdu sa langue. Il se mura dans le silence, drapé d’un deuil que sa fille ne pouvait faire sans lui. L’enfant se mit naturellement à croire qu’elle avait fait quelque chose de mal et sa joie de vivre enfantine se transforma en noirceur.

Puis il y eut un cauchemar, pas le premier de tous mais le premier qui comptait vraiment.

Le loup était noir et affamé, il la pourchassait dans le salon de la maison. Il avait mangé maman et il venait pour elle.

Son hurlement réveilla papa et dans le salon de leur maison, il découvrit un loup prêt à le dévorer. Lorsque Blue se réveilla au bruit de la vaisselle qui s’écrasait au sol, son cauchemar était mort et son père avait perdu deux doigts.

Ce n’était que le premier. Il y eut d’autres loups, beaucoup trop d’autres. Incapable de contenir la magie qui débordait de son trop petit corps, incapable de maîtriser la noirceur de son quotidien, la culpabilité la rongeait au même rythme que les monstres apparaissaient autour de leur maison. Papa fit de son mieux pour abattre les monstres et cacher la monstruosité de sa fille. Jusqu’au jour où il y eut le monstre de trop.

Papa avait disparu, sans laisser de trace, il avait disparu comme Mama'. Envolé. Blue partit à sa recherche sans jamais découvrir le couteau tombé à côté de son lit ni les larmes sur son oreiller. Recueillie par des voisins, le temps que Papa revienne ou que les villageois découvre son corps, elle se cache pour déverser sa magie, malade comme une sorcière infernale. Coupable et incapable de faire cesser le cauchemar. Le village finit par demander de l’aide. Des chevaliers, à moins que ce ne soient des soldats, ou de vaillants héros, vinrent sauver les pauvres âmes en proie à un mal dont on ignora la couleur.

La bleue comprit deux choses.
Elle voulait être le héros et pas la sorcière.
Elle devait partir.

À onze ou bien douze ans, Blue était plus proche du gris et du marron que du bleu lorsqu’un quidam lui mit la main dessus pour l’envoyer là où elle devait être. L’orphelinat lui sauva la vie. Elle s’y fit des amis et les cauchemars s’éloignèrent. Elle invoquait des lapins et des papillons lorsqu’elle entendit parler pour la première fois de l’académie. Adoptée avant de comprendre où était sa voie, Blue rejoint une famille de pêcheurs de la ville de Carrylton. Elle devint plongeuse, ramenant des tréfonds de l’océan, coraux et précieux mollusques, de quoi être utile à sa nouvelle famille. Elle ne les appellerait jamais ni papa, ni mama'.

Un quotidien répétitif, laborieux, gratifiant parfois. Blue était une adolescente comme tant d’autres, juste un peu trop gentille. Elle ne manquait de rien, il y avait du pain à sa table et tous les jours que les dieux faisaient, elle souriait. Un sourire prêt à dévorer le monde, un sourire dont sa vie dépendait.

La vie aurait pu se limiter à cela, après tout, cela n’aurait pas été mal. Mais il y eut un garçon. À moins que ce ne soit une fille ? Après tout, cela n’eut pas d’importance, seule l’armure en eut. L’armure et les sommets scintillants de l’Académie. Et une promesse, faite à l’oubli et au futur. Le rêve d’une sorcière qui voulait être un héros.