"Regardez mes hommes. Leur courage ne tient qu'à un fil. Si tel doit-être notre fin, alors je ferais ce qui est en mon pouvoir pour qu'elle reste gravée dans les mémoires."

Il s’enfonce, il disparaît. Dès ses premiers instants. Cette impression de couler, de s’échouer à travers un abyme d’absence. Noyade éternelle. Un sentiment qui ne l’a jamais abandonné. Pas même maintenant.

Il était l’un des fils du ministre impérial. Le dernier né. Le dernier de la famille. Né dans l’opulence, il n’avait pourtant rien. Né dans la gloire, il n’en portait que le nom.

L’enfant n’avait qu’un souhait, qu’un seul. Qu’on lui offre un regard, un signe, n’importe. Qu’il se sente exister. Qu’il se sente désiré. Qu’il se sente.

Son père n’a jamais daigné lui répondre, sans même se soucier de son sort, pour peu qu’il n’apporte aucun déshonneur sur sa lignée.  Sa mère ne l’a jamais porté. Pas une seule fois. Même lors de sa naissance, il est directement confié à une nourrice. Il était tout ce que rêvaient d’être les petites gens. Lui rêvait d’avoir des parents, une famille.

Pendant son enfance, il se retrouve confiné dans ses appartements, suivant une éducation stricte. N’ayant droit à aucune erreur. Il ne pouvait se contenter d’être bon. Il devait être le meilleur. L’élite parmi les élites. Les domestiques avaient pour ordre de lui infliger des châtiments corporels au moindre échec, au moindre résultat bancal.

Malgré tout, le jeune enfant prenait cette vie très au sérieux. Persuadé qu’il obtiendrait enfin un sourire de son père en cas de réussite. S’il parvenait à combler toutes ses attentes. S’il parvenait à être un digne héritier.

Alors malgré les brimades, malgré les moqueries, malgré la pression, malgré la pression, malgré une charge bien trop lourde pour ses épaules d’enfant. Il n’a jamais dévié de ce chemin, de ce rêve qu’il gardait en tête, depuis ses premiers instants, depuis ses premiers regards, depuis ses premiers mots.

Pourtant, quelques soient ses efforts. Quelques soient ses accomplissements, ses réussites. Jamais son père ne vint lui parler. Jamais il ne vint le féliciter. Jamais il ne le vit. Jamais il ne croisa son regard.

La seule récompense qui lui fut donnée, être envoyée à l’académie. Loin de la famille, loin de tout. Isolé, condamné pour sa volonté sans faille. Condamné par son envie de bien faire. Condamné pour avoir espéré un peu de reconnaissance.

Depuis son plus jeune âge, c’était un jeune garçon lunatique, toujours un air perdu et distant sur le visage. Toujours renfermé sur lui-même. Discret et rarement bavard. Il ne s’est que rarement confié à d’autres. La seule personne qui a su ouvrir son cœur, n’était autre qu’une amie d’enfance. Une enfant tout comme lui, chaleureuse et souriante. Une enfant qui avait tout ce qu’il avait rêvé d’avoir. Il admirait son sourire, il admirait sa joie de vivre.

Loeve Estrela, porte bien son nom, elle était l’étoile qui guidait cet enfant. Un signe dans cet océan de solitude qu’il vivait au quotidien. La seule personne à qui il a un jour confié ses secrets. La seule à laquelle il s’est confié.

Petit à petit, il s’est également rapproché de sa sœur aînée. Le seul membre de sa famille qui le considérait comme quelqu’un. Qui le voyait, qui lui donnait l’occasion d’exister. La seule Crowmight qui avait réellement conscience de sa présence.

Il s’est très vite habitué à la présence de sa sœur. Appréciant sa compagnie, ressentant son absence. Heurté par son manque. La séparation n’en fut que plus dure à ses yeux lorsque le jour du départ marqua fin à cette vie qu’il redécouvrait petit à petit. Sonnant le glas de ses espoirs. Mettant fin à ses rêves.

La première année à l’académie fut particulièrement dure pour le jeune homme. Marqué par une profonde solitude, il n’était pas rare de le voir s’isoler seul, dans ses appartements ou dans un coin du dortoir. Il écrivait de longs textes, une étrange histoire, celle qu’il aurait préféré vivre. Celle qu’il rêvait de voir.

Isolé, loin de la réalité qui l’entoure, loin de cette cruelle réalité qui le blesse. Il cherche à s’évader, à découvrir un autre monde. Imaginant un univers rien qu’à lui. Un endroit où il pourrait enfin être heureux. Un endroit où il pourrait enfin sourire. Un endroit où il pourrait revoir ses rares amis. Un endroit où il ne finirait pas seul. Comme à chaque fois.

C’est dans cette solitude qu’il entreprend un voyage en premier année, avec d’autres membres de sa maison. Fidèle à ses habitudes, il se retrouva seul. Tandis qu’ils pouvaient former des groupes et monter des équipes pour explorer les environs. Il ne fit équipe qu’avec lui-même. Sa plume et ses pages dans une main. Accompagné par son imagination. Accompagné par sa seule raison.

Il vagabonda à travers la forêt aux alentours, les plaines et les champs, redécouvrant un village sous un autre air. Voyant pour la première fois des petites gens. Il notait tout, absolument tout. Apprenant avec envie. Faisant connaissance pour la première fois de sa vie avec le monde qui l’entoure. Son naturel curieux le poussa à tout explorer. Les artisans, les marchés, les ruelles sordides.

Jusqu’à ce que ses pas le conduisent à une taverne isolée. Dans l’un des recoins oubliés de la ville. Loin du centre grouillant de vie. En ce lieu, seul le cri de quelques chiens errants venait troubler le silence et le calme ambiant.

Loin d’être apeuré, il passa une bonne partie de la nuit dans cette taverne. Dissimulé par une longue cape miteuse et sombre. Plus proche de l’orphelin que du fils impérial. D’autant plus que son air absent et l’absence de clarté dans son regard ne faisait que renforcer cet aspect de sa personnalité.

Il fit une rencontre inattendue. Un drôle de personnage se présentant sous le nom étrange « Voyageur des songes ». Loin d’éveiller le doute, il attisa la curiosité du jeune homme. Notamment lorsqu’il lui fait part d’un moyen pour sauver une personne qui lui était chère.

Le jeune garçon voyait enfin un sens à sa vie. Une raison d’exister. Pour peu qu’il puisse se rendre utile pour sa famille. Pour peu qu’ils puissent le remarquer. Il ne lui manquait qu’un moyen d’être indispensable. Qu’un moyen de se rendre indispensable. Il voit dans cette étrange proposition un signe du destin. Enfin, il avait l’occasion de réaliser son rêve.

Non content d’accepter, il prit la peine de marquer sa sœur, celle qui l’avait longtemps aidé. Celle qui avait toujours été là pour lui. Quitte à sauver l’un des siens, autant sauver celle qui lui avait tout offert, alors qu’il ne lui devait rien. Autant protéger celle qui l’avait protégé. Autant se sacrifier pour celle qu’il appréciait.

Sacrifice. Le mot était fort mais juste. Le voyageur lui fit bien comprendre qu’il était question d’échange équivalent. Un juste prix à payer. Un peu de son énergie vitale, un peu de son expérience de vie, pour l’offrir à sa cible. Une vie en échange d’une autre. S’il venait à lui arriver malheur, elle se rétablira, bien plus vite que la moyenne. En contrepartie, il viendrait à perdre une part de son futur, de son avenir.

Un sacrifice qu’il était prêt à prendre. Pour se sentir enfin vivre. Il pouvait très bien perdre le reste de son existence. Le seul avenir envisageable à ses yeux. Aucun risque n’était assez bon pour accomplir le rêve de toute une vie.  

Le pacte fut scellé. L’échange était accompli. A partir de cet instant, il donnera sa propre vie pour sauver celle d’une autre. Ce qu’il ignorait, c’est que le pacte conclu n’était pas honnête. Pas le moins du monde. Le voyageur s’était joué de lui. Il avait sacrifié toute sa vie pour une demi-sœur, qu’il ne connaissait même pas. Dont il n’avait même pas conscience. Il donnait de sa personne pour une autre. Perdre son avenir au profit d’une parfaite inconnue.

Pourtant, il était loin d’avoir compris, persuadé qu’il avait protégé celle qui avait longtemps été à ses côtés. Persuadé d’avoir enfin accompli son rêve. Alors qu’en réalité, il ne faisait que s’enfoncer davantage dans ce cauchemar éveillé.

Sa timidité commença à s’envoler au cours de la deuxième année. Il n’était pas plus bavard pour autant, mais il s’impliquait davantage dans la vie de sa maisonnée. En plus des bons résultats qu’il avait depuis son arrivée à l’école, il se faisait à présent remarquer comme le mystérieux protecteur d’Ethernia.

Discret et distant, il aimait jouer les médiateurs dans l’ombre. Réglant les conflits entre les élèves dans son coin. Ses conseils et les rares mots qu’ils daignent prodiguer s’avèrent bien souvent justes. Le charisme de sa famille faisait de lui un leader tout désigné, bien qu’il n’ait jamais cherché à revendiquer un tel titre.

Une seconde nature qui le poussait à se mettre en avant pour les autres. A être présent, prêt à les secourir, à les guider, à les unifier. Ironique, pour celui qui avait longtemps rêvé d’une telle situation. Attendant patiemment qu’un autre vienne faire de même pour lui. Mais à mesure qu’il venait en aide aux autres. Personne ne venait s’enquérir de son état, de ses craintes.

Au final, les élèves ne voyaient en lui qu’un leader fort et confiant. Toujours sûr de lui, le visage calme et impassible. Alors que les doutes au fond de lui ne faisaient que croître. Alors même qu’il était dévoré par cette solitude. Alors même qu’il ne souhaitait que nouer des liens avec les autres, ils ne venaient qu’en cas de besoin, qu’en cas de nécessité. Cherchant à recevoir son aide, sans lui offrir la sienne en échange.

Désigné comme Préfet d’Ethernia au cours de la troisième année. Le jeune homme perdait de plus en plus de couleurs. Ses yeux avaient depuis un moment perdu de leurs éclats, son visage étant aussi pâle que sa chevelure d’argent. Un air mélancolique sur le visage, il ressentait un profond mal être. Qu’il balayait pourtant d’un sourire à la moindre interrogation. Au moindre doute d’un des autres élèves.

A force de vivre dans ses illusions. Il s’est enfermé dans ce rêve éveillé. Se donnant une raison d’exister. Se forçant à vivre.

Dans le silence il s’est fourvoyé. Dans le feu il s’est consumé. Ils pensaient tous qu’il allait oublier. Mais cette sensation est toujours gravée dans sa tête. Dans le pouls de ses veines. C’est la guerre qu’il mène. La solitude qu’il aime. La peur qu’il déteste. L’addiction qu’il prend. La cage qu’il s’est construite. La cage dans laquelle il s’est enfermé. L’âme et la jeunesse qu’il a perdue. Vous pouvez simplement l’utiliser. Sans rien offrir. Incapable de réclamer, obligé d’arracher. Si seulement il pouvait reprendre chaque instant. Il les laisserait rentrer sous sa peau. Pour qu’ils puissent sentir le vide qui t’anime. Qui te consume. Son cœur est un artifice, une âme leurre. L’art de creuser des trous toujours plus profondément. Il se laissera tomber dans l’obscurité en la regardant grandir. Qui aurait cru que le vide pouvait être aussi froid ? Aussi désagréable. Il perd à chaque instant des parties de lui, qui le rendaient entier. Il vit dans l’obscurité. Monstre sacrifié. Monstre qu’il s’est fait. Monstre qu’ils t’ont fait.