Tu es né une journée chaude, entouré de l'amour de tes deux parents. Tu étais censé être le premier d'une lignée, ils avaient prévus fils, et filles, et un foyer immense, et de l'amour à n'en plus pouvoir. Vous viviez à la frontière, non loin d'une zone de conflit. Et à dire vrai, tu ne te souviens pas trop du reste. Tu te souviens de ton lit, trop grand pour ton jeune âge, tu te souviens de la pièce à vivre, et du champ à quelques pas à peine de la porte. Tu te souviens de l'odeur, et du vent qui caressait ton visage. Tu te souviens des plumes que tu ramassais et que tu montrais fièrement à des visages souriants que tu as désormais oublié.

T'étais trop jeune, quand on te les a arrachés. Beaucoup trop jeune. Et tu te souviens de cette nuit calme, chaude. Tes paupières étaient lourdes et fatiguées, tu dormais déjà à moitié. Le bruit ne t'a pas inquiété, mais la voix de ton père, soudaine, et l'étreinte de ta mère, trop serrée autour de ton corps frêle, oui. Des voix, des rires, et sous tes paupières trop lourdes, encore encombrées par le sommeil, on t'a caché dans un placard, fait glisser des couvertures sur ton visage. Tu étouffais, il faisait chaud. Et puis, pas grand chose. Du bruit, des rires, des bousculades, un cri, ou deux. Et toi, terrifié, caché dans le noir, pleurant sans avoir vu une dernière fois leur visage.

C'était pour toi comme une malédiction, comme si quelque chose te punissait pour des actes que tu n'avais pas commis, comme si on te disait déjà si jeune, que ta vie ne serait pas dictée par toi, mais par les autres, par une entité supérieure contre laquelle tu ne peux rien.

T'es parti chez ton oncle. Le frère de ton père, parce que y'avait personne d'autre pour s'occuper de toi, et que c'est mieux que traîner ici et là. Ton oncle, il était incapable de t'aimer, il connaissait rien de l'amour, il savait pas ce que c'était. Et puis, pour lui t'étais qu'une autre paire de bras, et ça, ça l'arrangeait bien. Il te faisait faire tout ce dont il pouvait se débarrasser. Et plus tu grandissais, plus tu devais en faire. Et tu t'occupais du champ, du potager, des poules parce qu'il avait tendance à les oublier. T'as pris quelques claques, quelques coups, en croyant que ça allait te faire plier, voire même te briser. Il appréciait pas, il aimait pas ça, que tu continues de le regarder de haut, alors qu'il aurait pu te casser en deux s'il l'avait véritablement voulu.

Toi, t'avais qu'un objectif en tête.

Tu voulais partir de là. T'enfuir. Tu le haïssais, tellement, tellement. Certaine nuit, tu pensais à fuir, à fuir, si loin, si loin, mais t'étais encore trop jeune, un incapable, un bébé qui savait pas se gérer. Pour toi, tout était mieux là-bas. Qu'importe où c'était, qu'importe ce qu'il fallait. Mais surtout, oh surtout, tu voulais te venger. Les nuits chaudes étaient tes nuits blanches, souvenir d'une angoisse terrible. Et la seule solution que t'as trouvé, c'était d'aller combattre, à la recherche d'une vengeance que tu n'auras jamais. Alors tu t'es entraîné, c'était idiot, mais t'avais l'impression de te préparer pour une guerre à laquelle tu n'étais pas destinée. Et tu t'es entraîné, sur les poules, les pauvres, sur ton oncle, de temps en temps, en fin de journée, quand il pensait que le sommeil venait de lui-même. Tu t'es entraîné jusqu'à essuyer le carmin de tes lèvres, jusqu'à que tes jambes en tremblent, jusqu'à ce que ton corps s'endorme avant même qu'il n'ait vraiment touché le lit.

Puis un jour, ah, c'était le jour des fameuses poules, t'étais encore un peu jeune, quand ils sont passés cette fois-là. C'était pas la première fois qu'il passait, t'étais pas si loin de la zone de conflit, à deux heures de marche, peut-être trois. Alors tu les voyais souvent, les garnisons, elles venaient, elles partaient, tu les voyais traîner, s'installer un peu plus loin. Alors tu les as regardés avec une certaine admiration, puis tu as lâché ta poule, endormie, et tu as grimacé quand tu as vu qu'elle n'avait pas bougé, qu'elle ne s'était pas rattrapée, qu'elle n'avait pas fui. Point positif, c'est que tu t'entraînais bien et que ça marchait. On s'est moqué de ta poule, en riant, en plaisantant, t'as répondu un : C'est pas sa faute !, comme si elle avait pu comprendre la semi-insulte. Et t'as expliqué, à demi-mots, en regardant d'un peu loin la porte d'entrée. Et l'un d'entre eux a demandé : et comment ça fonctionne, et t'as expliqué. Et au fur et à mesure, à chaque fois, si tu le reconnaissais, tu discutais, posais des questions. On te répondait jamais vraiment. Mais t'avais du potentiel. On te l'a dit. T'as du potentiel.

Et t'y as cru.
Tout pour t'enfuir d'ici, et l'école était la seule échappatoire que tu voulais prendre.

w. mort de ses parents, tués par des brigands – 7 ans
w. départ chez son oncle qui a la main leste ; s'occupe du champ et du poulailler
w. besoin de se venger, très colérique
w. se met au lancer de couteaux, seule chose utile que l'autre lui ait apprise
w. trop de cauchemars, veut se venger ; décide que sa seule option c'est l'école – 13 ans
w. troupe qui fait des allers et retours, trouve que t'as peut-être du talent – 15/16 ans
w. entrée à l'école – 16/17 ans