En silence, dans cette salle commune de ta maisonnée.  Nul membre d’Ethernia ne semblait disposer à venir troubler le calme qui habitait ta partie. Les yeux rivés sur le plateau de jeu. Tu observais les pièces te faisans face sans rien dire. Focalisé sur le prochain mouvement de ton Némésis. A savoir, toi-même.

Tu appréciais tout particulièrement ce genre d’exercice. A croire que les échecs étaient ton échappatoire. Ton esprit était bien trop encombré par les stratégies et les coups à mettre en place pour venir se perdre dans des pensées douloureuses et regrettables.  Il n’était donc pas rare de te voir attendre dans cette salle commune. Attendre que ta partie solitaire se termine. A défaut de trouver un partenaire de jeu.

Non pas que tu étais solitaire dans l’âme. Certes, pour être tout à fait honnête, tu n’étais pas non plus le plus chaleureux des membres de cette maison. Pas plus que tu n’étais particulièrement enclin à parler pour ne rien dire. Il y avait plus de chance de tomber sur de longs moments de silences en ta compagnie que le contraire. Oui tu n’étais pas le plus expressif en termes d’émotion. Oui tu n’étais pas le plus bavard. Mais tu n’en restais pas moins doux et accueillant. A ta façon.

Les yeux plissés sur la table, tu prenais très à cœur cette joute interne. Chacun de tes coups avait pour but de contrecarrer tes propres plans. T’obligeant à étudier à chaque mouvements une nouvelle approche et une nouvelle stratégie. Ce qui rendant le jeu affreusement long mais empli de rebondissements.

Tes doigts se déplaçaient tantôt le long du quadrillage. Tantôt sur la pièce que tu tenais en main. Pièce qui adoptait d’ailleurs différentes formes. A l’origine un simple pion, elle était passé par toutes les autres étapes avant de se perdre dans un flot de matière indescriptible. Se mouvant entre tes doigts, tel un être animé par sa propre volonté.

Tu étais si concentré sur ton propre jeu, que tu ne remarquas pas la présence d’une autre personne. Les yeux toujours visés sur un seul et même point. L’esprit totalement prit par cette partie. Ce n’est qu’au détour d’un regard en coin, sans vraiment lâcher le plateau de jeu du regard, que tu l’aperçus. En voyant sa carrure c’était même étonnant de ne pas l’avoir pris en compte auparavant. Tu manquas d’ailleurs de sursauter en voyant un tel géant. Heureusement que tu ne tarde pas trop à le reconnaître.

Pavel, si ta mémoire est bonne. Ton aîné. Que tu avais pu croiser quelque fois depuis ton rôle fraichement acquis de préfet. Toujours dans ta partie, tu te demandas s’il était intéressé par ce genre de jeu. Restant interdit un long moment. A t’interroger si oui ou non, tu devais lui proposer.

Conscient que tu n’avais rien à perdre à lui poser directement la question. Bien au contraire même. Tu te décidas enfin à rompre le silence pesant qui s’était à présent emparé de cette pièce. Tu aurais enfin l’occasion d’avoir un partenaire de jeu, ce qui n’était pas pour te déplaire.

Pavel ? Tu veux jouer ?

Le sourire était absent. Ta mine demeurait neutre au possible, n’affichant aucune appréhension ou joie quelconque. Mais l’intention était là.

Si tu jouais souvent seul. Tu étais souvent seul. Mais étais-tu seul par choix ? En quête d’isolement, cherchant sans arrêt à te ressourcer loin des autres. Ou alors subissais-tu cette solitude forcé, imposé par tes proches, accepté par ton esprit. Tu aimerais avoir réponse à cette question, mais malgré toutes ces années, jamais tu n’as eu un début de piste. Rien que des doutes et des interrogations supplémentaires.

Alors, loin de le regarder, loin de l’observer, tu restais le visage penché vers cette table. Vers ton terrain de jeu, observant les doigts de ton adversaire déplacer les pièces unes à unes. Les faisant glisser doucement sur ce plateau. Sur ce terrain d’affrontement pourtant bien silencieux.

Ton regard allait et venait, blanc et noir, noir et blanc. Se laissant emporter par toutes les stratégies possibles, tu ne pouvais que saluer la vivacité d’esprit de ton partenaire de jeu. Tu n’avais encore jamais eu l’occasion d’échanger avec lui. Tu n’avais d’ailleurs pas encore saisi la chance qu’il t’offrait. Pourtant, son esprit en disait bien plus que ton mutisme.


Oui. Bien souvent.

Il n’y avait aucune peine dans ta voix, aucun signe de mélancolie. Qu’une vérité énoncé simplement. Qu’un désir de pratiquer cette discipline qui te tiens à cœur. Avec ou sans l’aide des autres.

Tu te débrouilles bien.

Doux euphémisme que voici. Malgré sa carrure imposante et son allure à faire pâlir les plus fiers élèves d’Elderia. Il était avant tout un membre de ta maisonnée. Autrement dit, il pouvait autant briller par sa force que son intelligence. Loin d’être une brute sans cervelle, il ne partageait avec ces êtres ni l’une ni l’autre de ces caractéristiques.

Tu étais agréablement surpris. A la fois par cette étonnante découverte, qui te faisait découvrir un partenaire de jeu idéal. Mais également par ta prise d’initiative assez rare pour le faire remarquer. Tu n’étais pas le genre de personne à faire le premier pas en temps normal, notamment pour ce qui concerne le social. Sur un champ de bataille, tu parvenais à aborder la chose différemment.

Tu ne pouvais pas nier qu’il avait éveillé ta curiosité. Comment faisait-il pour s’adapter avec autant d’aisance à ton improvisation. Ton jeu consistait en une multitude de stratégies et de coups imbriqués les uns avec les autres. Que tu avais longtemps étudié, cherchant à adapter chacun des coups possibles et inimaginables. Une sorte de faculté d’adaptation face à toutes les situations possibles. Même si ton jeu était encore imparfait et ne couvrait pas le plus gros du spectre des possibilités, il n’en demeurait pas moins capable de venir à bout de joueurs moyens, voir confirmé.

Le voir s’adapter aussi vite. Suivre et talonner ta représentation improvisée ne faisait que soulever davantage de questions. Encore et encore.


Tu joues souvent aux échecs ? Ou est-ce de l’expérience ?

Les yeux toujours rivés sur le plateau. Incapable de lever le regard, incapable de croiser le sien. Persuadé qu’à force de se concentrer sur ses doigts, tu pourras percer à jour cette colline pleine de mystères.

Tu n’étais pas sot. Pas au point de ne pas comprendre ce qui se déroulait juste sous tes yeux. Cette impression de jouer face à un miroir, reproduisant chacun de ses gestes avant de les contrer. Systématiquement. Il avait beau faire durer la partie en contrant chacun de tes coups, la situation devenait de plus en plus flagrante. Tu ne saurais dire s’il avait recours à un quelconque artifice, ou si tu étais tout simplement tombé sur un génie des échecs, quoiqu’il en soit. Cette partie ne tournait pas en ta faveur. Bien au contraire.

Pourtant, tu semblais concentré sur cette dernière, faisant de ton mieux pour résister inlassablement à ses tentatives. Comme si pour la première fois de ta vie, tu avais enfin l’occasion de jouer aux échecs. Réellement et contre un adversaire digne de ce nom. Et encore, le mot était faible.

Je commence à comprendre pourquoi.

Entre deux coups, tu parviens à placer une phrase en plus. Louant ses talents en la matière. Louant ce partenaire de fortune qui se révélait être un redoutable opposant, capable de mettre à mal toutes tes années de pratique.

Mais tu avais beau apprécier ce match, tu avais beau ressentir une certaine excitation dans la difficulté de ce dernier. C’était un sentiment loin d’être réciproque avec ton adversaire. Ce dernier semblait bien distant, comme si cette partie n’était qu’une simple formalité. Tu avais beau être absorbé par ce jeu, tu ne pouvais pas décemment t’amuser tout seul. Sinon à quoi bon avoir trouvé un partenaire de jeu.

Tu as une idée en tête à me proposer ? Je suis toujours curieux de découvrir d’autres activités.

D’autant plus si elles permettaient à cet homme de passer au moins un moment agréable en ta compagnie.

J’ai bien peur qu’en dehors d’un classique duel d’armes et de magie je n’ai guère d’autres options en tête.

Un soupir, las d’être de si peu d’aide. Las d’être si limité dans le choix des activités. Pour être tout à fait honnête, ce genre de choses était tout à fait nouveau à tes yeux, tu découvrais encore le monde en dehors de ta cage dorée, en dehors de ta solitude.

Tu étais loin d’avoir l’expérience des autres à ce sujet.

Bien loin même.

Nous pouvons tout aussi bien parler tout simplement.

Tu marques une pause, lui laissant le temps d’étudier chacune de tes options.

Je serai curieux de découvrir ton secret aux échecs. Tu à un atout dans ta manche ?