Une main indolente vient se poser sur le mur; parcourt lentement chacune des courbes des briques vieillies par le temps. Il en connaît chaque défauts, chaque petites imperfections qui malgré le plus diligent des nettoyages ne peuvent être empêchées. Ses doigts rencontrent un creux, ricochent sur une protubérance. Cette paroi n'a aucun secret pour lui - il pourrait se l'imaginer les yeux fermés : sa surface tantôt rugueuse, tantôt plus douce. Le connu le rassure; il lui donne l'impression d'appartenir à quelque chose, d'avoir un endroit où rentrer. Il lui donne de la légitimité à rester ici, envers et contre tout.

Ses premiers souvenirs sont ceux des longs couloirs de l'Académie. Des gigantesques cuisines ou encore de l'astronomique bibliothèque dont de ses deux petites pattes, il n'en voyait pas le bout. C'est avec émerveillement qu'il avait tout découvert - en récoltant au passage quelques remontrances méritées des cuisiniers ou même d'érudits qu'il aimait épier, même sans trop comprendre leur langage savant. Ses quelques réminiscences sont floues, mais assurément heureuses. Jamais il n'a manqué un quelconque père ou une énième mère, il était bien trop jeune pour s'en soucier. Laissé aux petits soins du personnel, rien ne semblait jamais lui avoir fait défaut. Il était si petit, alors que lui monde lui semblait tellement immense.

En grandissant, il a enfin commencé à s'intéresser aux autres. Les élèves, ces enfants ou adultes bien plus vieux qui avaient pourtant constitués une partie intégrante de sa vie sans même qu'il ne s'en soucie. À l'un âge où l'on pense que l'univers tout entier a été fait juste pour nos yeux, ce fut une véritable révélation. Si la notion devait lui avoir été expliquée, il ne l'avait pas comprise; ou il ne s'en était pas rendu compte. Les élites. Eux. Pas lui.
Ainsi, il avait commencé à les observer de loin. Épier leurs moindres réactions, leurs discussion, faire du sens de leurs mots, comprendre ce qu'ils avaient tous de si spécial, ce qu'il leur valait autant d'intérêt à leur égard. Tout comme un enfant auquel on avait momentanément volé l'attention de ses parents, il les jalousait avec ardeur. C'était pour eux qu'on servait le dîner. C'était pour eux que la bibliothèque était aussi complète. C'était pour eux que l'Académie avait vu le jour. C'était grâce à eux, ces espoirs de la Nation, qu'un orphelin comme lui avait pu être aimé et protégé. Mais au lieu d'en être reconnaissant, il n'en était que plus amer.

Pour se distraire de ses sombres réalisations, il s'était plongé corps et âme dans ses études. Loin d'être un prodige ou génie, il n'en demeurait pas moins un élève très agréable tant sa soif de savoir était impressionnante. Il avait toujours des questions, cherchait toujours à comprendre quelque chose. L'histoire et mythe le passionnait tout autant que la magie et la science. L'oiseau volait hors du nid, et commençait à préférer la compagnie des romans et encyclopédies que celle du personnel.

Et après l'enceinte de l'école, vint la découverte des murs de la Cité. Un jour - il ne devait pas avoir plus de douze ans -, il fut proposé d'accompagner l'un des domestiques faire quelques courses. Sans même y réfléchir à deux fois, il saisit l'occasion; il n'était plus question d'imaginer la ville; il pourrait la voir de ses propres prunelles. Un sourire aux lèvres, il emboîta le pas à son doyen. Grisé de son nouveau savoir, il se peut qu'il ait passé tout le trajet à lui parler d'un quelconque sujet qui l'intéressait. Même si il s'éloignait, il n'en restait pas moins qu'un enfant qui ne recherchait que l'attention des plus vieux. Lors d'une certaine étape de leur joyeuse petite sortie, on intima au jeune garçon de rester là où il se trouvait un instant, juste un instant. Celui-ci, autant intrigué qu'intimidé par toutes ces nouvelles choses obtempéra avec obéissance. [uc]